Nora est la perle du Palais Goyave. Sordide expression de la consommation charnelle, une perle est une vulve, trop rarement l'oiseau blessé qui sait se faire oublier...
Elle est un oiseau ouvrant larges rémiges
Pour porter les gorges trompées
Et dans les brises glacées des hauteurs
Privée d'air
Elle nous retombe, brisée
Inspiration, quand elle nait des rêves
Puisée aux sanglots
Ses puissants muscles prompts à l'envol
Est un oiseau fragile
Engoncé dans ses incertitudes
Les rêves sont de sordides plumes
Naissant au jour et fondant au soleil
Entraînant ceux qui s'y crochent
Aux vulgaires précipices déjà cent fois nommés
Mais ils s'y trainent toujours
Les créateurs d'apocalypse
Tombés déjà, tournoyant au dessus
Toujours
Et leurs rêves sont béants
De larges trous cousus de précieuses parures
Du vent pour les puissant, gonflant de grandes voiles
Du sang à boire aux écorchés, qu'ils ne cessent de vivre
Tous sont ivres
Des rêves qui font si triste inspiration.
Elle est un oiseau rêche, qui ne chante pas souvent
Inspiration puisée aux éclats de la raison
Son rire pourtant se contente en lui-même
Et son cœur est une pierre qui jamais ne se rompt
Peut-être ne vole-t-il pas les splendides hauteurs
Sous les regards hautains d'autres oiseaux moqueurs
Quand il va se poser, les rêves brisés plus loin
Il peut encore voler, suffisant à son poids
Jouons de nos longs doigts Quelques notes sinistres Sur nos claviers de bois Une mélodie triste Laissons-nous à l'espoir De n'être illusoires D'écrire notre histoire Nous spectres sans mémoire Quelques notes plus douces Pour croire en si demain Sous nos paumes que l'on pousse À se joindre un matin Homme que tes nuit sont longues Et tes sourires éteints Je les ferai plus longues Si mon corps t'étreint J'irai à ta rescousse Mon ombre pas-à-pas Apaisant tes secousses Et calmant tes combat Homme que tes nuits sont froides Tes étoiles si loin J'éteindrai les cascades Qui noient tes lendemains Je donnerai ton nom Aux oiseaux migrateurs Qui survolent les hauteurs Portés par ma chanson Homme tu n'as pas d'odeur Posé dans ton écrin Posé entre mes reins Ton âme est sans saveur J'ai perdu ton chemin Posé ton corps en croix Échappée de mes mains Ma tendresse sans toi Je voyais tes splendeurs Tes soleils si certains D'être à chaque marin Un souffle de chaleur Homme tes nuits sont maudites Tes paroles sordides Ont glissés sur mes ailes Je suis une hirondelle Homme tes nuits génocides Je les prendrai à bras Je sonnerai le glas De tes tendres suicides Quelques notes plus douces Pour croire qu'un lendemain Qu'un soleil que je pousse Tiendra entre tes mains Nous jouerons de nos doigts Quelques mélodies tendres Nous chasserons les cendres De tes chants de forçat Quelques notes plus douces Un rire pour croire enfin Que nos frères sont tous Dignes du même chemin
Je suis en chaque pluie la vapeur sourde venue d'ailleurs
Et m'éparpille au gré des airs au gré des terres et des tourments
Passant ma vie à me défaire
À me refaire, toujours entière
Mie ma vie, toujours si pleine
De pleins soleils miraculeux
Qui me reviennent comme par erreur
Aux bouches sombres des canaux
Mie ma vie, que dois-je en faire
Moi qui si pleine connaît les cieux
Et suis passée mon âme en peine
Par les boyaux tous monstrueux
Si je n'ai plus d'autres soleils moi goutte d'eau moi pluie légère
Si j'ai causé tous les naufrages et réveillé leurs naufragés
Que puis-je en faire moi si ancienne
Quand on me sert sans plus me voir
Je suis la pluie et la rivière
L'or qu'on s'achète et sa misère
Prise sur terre et sans parole
Moi qu'on espère goutte qu'on vole
Je suis le fleuve qu'on enserre la mer enfin que l'on conquiert
Ses vagues riches et ses tempêtes je suis l'immense qui tant effraye
Je suis les fonds et ses mystères et les vertiges que l'on ignore
Mie ma vie que puis-je y faire si je suis source de ma vie ?
Mie ma vie que dois-je en faire
Moi goutte d'eau moi si légère
Si je ne peux pas m'en défaire
Mie ma vie est un enfer
Moi goutte d'eau et moi rivière
Moi fleuve enceint et mer prospère
Moi les cannaux et les mystère
Moi que l'on craint moi qu'on espère
LAZ
Il avait son visage
Éteint
Sans fin
Et de chaque horizon
Serpents
Si fins
Leurs langues
Glissantes
Jusqu'au sombres langages
Les yeux sont creux
Ils parlent de lui-même
Retiennent pris à l'os
L'image toute semblable
Un autre visage éteint
Reproduisant sans fin
Les orbites luisantes
Les os parfois cuisant
Les phares d'un toujours creux
Qui se cache vaniteux
Au plus profond de lui-même
Sa langue dit de même
Parle de toutes faces
Sous toujours la même face
"Jamais ne change
La guerre est en moi-même
Sous millions coups de pioche
Et même jusqu'à l'os
Inconscience maladive
D'être semblable au pire
De chercher l'avenir
Sous les peaux et les roches
Sifflent les bêtes sordides
Les longues décharnées
Ressacs et volontés
Des culpabilités
Il me faudrait fouiller
En dehors de mon crâne
Aimer la bête lisse
Qui sans cesse me glisse
Entre les doigts
Attraper mes phalanges
Les forcer à me rompre
Briser tout mon entier
Pour enfin me répondre
Je ne suis plus dehors
Qu'un spectre dépassé
Les autres qui sont morts
Je les ai délaissé
J'ai touché à mes doigts
Ma langue s'est perdue
J'ai fouillé devant moi
Pour me tirer dehors"
Il peint la guerre dehors
Son cœur est mort
Il cherche peut-être encore
Une porte sans ressort
Il peint la mort dedans
La guerre qui porte la mort
La mort qui peint la guerre
Et lui si froid qui dort
LAZ
Visage de la guerre : ici
Autre hors-piste sur le visage : là
Mon cœur enfin confiant, ce sont des larmes claires
Une maison pleine d'enfants, sauvages, et qui tant s'aiment
Qu'ils ne sont pour les autres que rires et raisons
Tous aussi en lumière dans chacune maison
Alors je vais en paix, dans l'avenir si lourd
Qu'une poignée d'illusion retient à sa misère
Je pousserai les miens à croire en leur pardon
A croire en leur raison, la seule qui me parvienne
Et d'enfant en enfant, les autres dans leur guerre
Se demanderont un jour comment passer sur terre
Sans rompre et sans blesser la plus belle rencontre
Leur chair enfin au cœur de toutes les chansons
J'écrirai à nouveau, dans les cercles des cercles
De tant de beaux visages, de tant de grandes maisons
Qu'elles n'auront plus de portes, chacun pris en lui-même
Sans crainte et sans regret, aux autres pris de même
Il nous faut tant de gestes, tant de force et d'amour
Pour briser sans souffrir les chaînes d'illusion
Les mots lancés au même qu'ils frappent ou qu'ils rassurent
Enchaînés à nos monstres, ils ne peuvent plus y faire
Il nous faut tant de force, d'amour et de raison
Que les mots si ballants nous rendent défaillants
Chacun allant se faire dans l'exemple raison
Son cœur, si bien qu'absent, répondant chaque jour
« Je n'aurai plus de chaine, plus d'autres et sans maison
A chaque carrefour ce seront cent maisons
Cent lèvres et cent regards qui tous en direction
Trouveront à mes lèvres sourire et nul pardon »
Sourire et nul pardon.
L. A-Z
*
J'ai sillonné le ciel, les quais et les mirages
Écumé d'avantage les marchands de brouillard
Que trempé mes yeux au mazout des rivages
De mes jambes sont nées les ombres et les mers
Les tempêtes qui ragent et te laissent au hasard
De l'ivresse du large, et mes lèvres au désert
*
Quand juchée sur les vagues j'ai retenu ton souffle
Et les appels à l'aide des voiles en déroute
J'allais de phare en phare sans creuser d'autre route
Peut-être nénuphar, voguant de temps en temps
Sur de grandes misères, sur un grand océan
Entre marées déçues et promesses du vent
*
J'ai perché à tes mâts les absences, les doutes
Jeté tant de poussière à mon cœur et dans l'air
Sous les aubes et les cierges j'ai fait l'ombre à ma chair
Sous mes propres tempêtes j'ai poussé quelque part
Une île aux brise-vent pour rompre mes amarres
Pour fondre mes cents têtes au loin des moindres routes
*
Dans le soulèvement, le vent bat ma fenêtre
Je reviens de si loin, j'ai laissé à mes rêves
Les sables, les tourments, les rives et les repères
Je ne suis pas si morte, je ne suis pas perdue
Si les autres sont fortes, je ne suis pas pendue
Je ne suis pas si morte, à peine un peu déchue
Retenue à ta porte mon âme mise à nu
*
Je ne suis pas si morte, j'ai pris quelques envies
En jouant de la corde à ma gorge s’enivre
Je ne suis pas si morte, à cent lieues de la rive
En jouant de six cordes j'ai pris le temps d'en vivre
J'ai pris le temps d'en rire
*
Il est encor des hommes osant braver les fleurs
D'offrir dans une tempête le soulèvement des coeurs
En couchant par centaines des quatrains sans rondeurs
Comme autant de caresses sur des oiseaux voleurs
Ils sont de mises, et ces gens-là
Ne tiennent tête qu'à leurs promesses
Sur les parvis, les jours de fête
Ils lancent du lard aux grands poètes
Mais il en fût, il est encor
Et de rigueur, toujours à l'heure
Dont les escrocs paissent en pudeur
Sous les airs simples de ripailleurs
Il est encor des hommes qui ne paissent à pourpoint
D'un semblant de ferveur, l'âme en bouche le matin
Et qui tiennent leurs langues, et qui lavent leurs mains
Attendant à l'offrande un mot qui ne soit vain
...
Ainsi en chaque point, l'assise est de rigueur
Pour peser le mandrin il faut lui faire revanche
Et si de légèreté il s'estompe au matin
Abattons la potence, qu'elle ne se tienne pour rien
...
Je boirai à la clémence
Aux yeux de mon ange
Aux cieux, à la chance
Je boirai à l'absence
Je boirai à mes sens
Qui trompent mes misères
Et font de mes lanternes
Les plus vives lumières
...
J'aurai un jour
Je n'ai celui-ci
Qui me subvienne
De larges alentours
(Valent-ils le détour)
Une place seule convienne
Et l'ombre des vautours
Partout autours de soi
J'aurai les orées des bois
Les larges, les traverses
Du silence ou du roi
...
Sous le quatre angles
Le monde croule de splendeurs
Et la brume s'y coule
Douce
Sereine
Sans un bruit
La valse des rumeurs
S'est tue
...
J'ai touché des lueurs or
Longé les quais, assise aux sycomores
Et leurs panaches oranges
Sous des flammes pressantes
Les flammes d'un soleil mort
Qui s'allonge sur les ombres et s'endort
Dans la paix des allées, l'été file
Et carresse d'un sourcil ses trésors
Les plaines vertes, les roches sombres
Et chaudes, les broussailles rousses
Leurs cent-mille facondes
Où s'émoussent tardifs des criquets gris
...
J'imagine métaphore
Roulant du dos, la bouche grande
Avalant, pieuse ou par monceaux
Les ondes torses de mes yeux
...
En l'État Impuissance règne en maître sur des monstres.
Flash.
Mes rêves sont des faxes. Mes rêves sont parfois glauques. Hier, un zombie paré à la Tim Burton, se déplaçant en ponts acrobatiques, c'est-à-dire en roulant sur son corps courbé en arrière telle une roue de lui-même, dans un décor tout aussi burtonesque, finissait par se planter face à moi. Il m'offrait pour me défendre, car son intention carnassière à mon égard ne faisait aucun doute, une fourchette sortie d'un service d'argent. Je refusais de frapper l'être qui se tenait devant moi. D'une part, réfractaire à l'idée de planter quoi que ce soit en qui que ce soit, je tenais l'arme, incrédule. Ensuite, même en rêve, j'imaginais aisément que la fourchette serait d'une inefficacité redoutable face au mort-vivant, et au mieux ne parviendrait qu'à aiguiser sa fureur.
Mais déjà, le zombie lançait les premiers crocs. Esquivant, je parai de mes avant bras, impuissante à éviter toutes les morsures. Des morceaux de chairs disparaissaient en bouchées saignantes, et, dépitée, je lançais les premiers coups de fourchettes. La jugulaire, les yeux ! Un coup fit vaciller le monstre qui avait encore apparence d'homme. Mais sitôt remis d'aplomb, la large entaille dégorgeant un flot de sang noir se rétractait, pour disparaître totalement.
Je me réveillai en sueur, les avant-bras qui n'étaient plus que des restes d'humérus brisés tenant encore à distance de mes parties vitales la gueule mortifère, relevés au-dessus de mon corps. Je me réveillai sur le dos, les genoux repliés sur mon thorax, les bras, sains et saufs, soulevant la couverture au-dessus de ma tête pour me protéger du monstre. Je me réveillai, le souffle court, le cœur frappant violemment à mes tympans, indécise. Le silence de l'appartement m'effrayait. Et si... quelque chose était entré chez moi... un zombie-roulette... un monstre...
Un monstre...
Il faut vous précisez que j'ai bien vingt-huit ans. Que je ne crois ni en Dieu, ni en Satan, ni en l'homéopathie, ni en le Grey. Que je me borne à apprivoiser simplement la masse d'informations que mon esprit cartésien tolère. Ni parano, ni complots, ni pandémies, ni drame écolo-social ne parviennent à se fixer durablement sur mon cortex.
Je suis passablement étanche à cet ensemble de phénomènes relevant de l'imagination mystico-collective qui s'emparent de la plupart de mes semblables.
Cela ne m'empêche pas d'apprécier un roman de SF à l'occasion.
Cela ne me pousse pas à profaner des lieux saints.
J'ai lu la Bible, autant que le Coran. J'ai dévoré Nietzsche, autant que j'ai savouré Voltaire.
Il faut vous préciser que mes origines sont sociales, avant d'être géographiques. La classe ouvrière blessée des années nonante a été mon terreau de culture. Je n'ai ni passé des heures sur un piano, ni poursuivi mes études, enthousiaste à suivre les traces d'un quelconque membre de ma famille, au-delà de la Maturité Professionnelle.
Mon milieu social actuel est inexistant. Ouvrière diplômée, l'état a tenté de me déclasser au grade de domestique, un léger handicap m'empêchant de poursuivre une carrière que, certes, je n'envisageais pas absolue, mais qui me permettait de vivre au-dessus du seuil de pauvreté.
Je fais partie de la masse qui représente le dixième de la population de mon pays : la masse pauvre.
Entre conduire et me nourrir, j'ai choisi de me nourrir.
Entre travailler à perte, et trouver une issue, j'ai trouvé une issue.
Mon esprit passablement raisonnable à fait fi de l'honorifique devoir social d'envisager un emploi comme clé structurante de mon organisme physique, mental et émotionnel.
Également, écarté la notion de véhicule privé symbole de liberté personnelle.
Mon organisme est étrangement demeuré intact à mes yeux, et je ne me sens entravée dans aucun de mes mouvements.
Le regard des autres m'indiffère.
D'une part, j'ai travaillé sur le rendu d'une façade qui me permette de vivre au-delà de la distinction rassurante que font les autres entre ce qui est normal et anormal. Je vis dans un appartement dont le bail est à mon nom, lumineux et entretenu. J'y invite des personnes proches, lumineuses et entretenues également.
Je ne participe plus aux manifestions alter-mondialistes de mes jeunes années. Ni ne participe plus aux beuveries collégiales que j'ai tant fréquenté durant la même période.
Je salue poliment les voisins qui me saluent, et ignore débonnairement les autres. J'ouvre ma porte, serviable, à ceux qui sont en rupture de denrées, et je rends la pareille à l'occasion.
J'héberge quelques bêtes adorables que je soigne et qui me le rendent à l'occasion.
D'une nature taciturne et solitaire, je m'adonne régulièrement à la lecture. Parfois, quelques lignes s'entrechoquent sur mon clavier.
Le monstre...
Ces dernières semaines, mes nuits se sont faites insistantes. Un voile s'est tissé entre moi et ce que j'absorbe du reste du monde. Mes pensées sont claires. Mon appréhension du reste est en mouvement. Il l'a toujours été. Mais jamais de façon aussi palpable, aussi prégnante. L'Impuissance m'était étrangère. Je la ressens dans ma chair. Je me sens l'âme d'un ballon de baudruche vidé de son air, pesant d'une pierre intégrée à sa masse. Je vois clairement l'étang qui accueillera bientôt ce corps-baudruche, sans pour autant être en mesure de l'écarter de ma route.
Je ne suis qu'ouvrière déclassée.
Je ressens Nietzsche suppliant qu'on le rende aveugle.
Quels sont ces mains qui m'entravent en me conduisant à la mort ?
Les miennes passées suffiraient-elles ?
Évidemment.
Vingt-huit années, c'est bien trop de temps pris pour parvenir à ce statu-quo que je maîtrise aujourd'hui. Débâcles diverses, débauches manifestes, révoltes guerrières, mon expérimentation ne s'est pas faite sans laisser, sur mon présent, de marques au fer rouge.
Bien sûr, le passé n'existe pas.... d'un certain point de vue. L'organisme émotionnel que je suis ne s'en préoccupe pas le moins du monde. Pour autant, il a forgé mon mental. Et clairement, entamé l'organisme physique que je suis.
Mais il n'existe pas.
Sauf dans les registres étatiques.
Où il est stipulé que je suis la mère célibataire d'une fillette de 5 ans.
Pieds et poings liés aux aléas éducatifs que cela suppose, j'ai composé pendant quelques années avec les soubresauts paternels de son géniteurs. Puis, il m'a fallu composer entre les exigences paternelles, toujours plus mesquines, les exigences scolaires, et les exigences propres à l'enfant. De mois en mois, la situation pouvait me résumer en grand écart entre quatre chaises, moi même recyclée en attente de traitement.
Quelques colères justifiées plus loin, je recevais une missive m'intimant à me présenter seule aux services sociaux.
Ensuite, il y eut la Gabegie.
Untel avait affirmé ceci, ceci fût repris en cela, sans évidement que la pseudo-professionnelle prenne le temps de contacter les professionnels de la santé engagés auprès de l'enfant.
L'éducatrice jointe, son témoignage fût détourné, remanié.
Au deuxième rendez-vous, je me posais clairement face à la dame, pour lui exprimer certains doutes quand à sa manière de procéder. Grave erreur. Je passais, dès lors que j'eus corrigé une partie de son rapport, signifiant que ni la psychiatre, ni l'éducatrice n'avaient pu tenir de tels propos, pour une mythomane. Termes repris dans le rapport : tendance à l’interprétation de Madame.
Bref. Avec une accusation de maltraitance par négligence sur la santé de l'enfant et un intitulé aussi révélateur, j'arrivais à l'audience avec le risque de perdre simplement la garde de l'enfant. Mon enfant. Celui que j'avais désiré, en dépit de la volonté du père à me faire abandonner cette idée. Celui que j'avais nourri. Soigné. Celui que j'avais donné au jour, que j'avais appris à connaître. Celui qu'il m'avait été donné de rencontrer. De rencontrer.
J'insiste sur le terme. Je ne me suis jamais sentie l'âme d'un guide. Je n'ai jamais estimé avoir besoin d'un cadre pour me supporter.
Je fais partie de cette race de parents qui dérange.
Qui entretient la curiosité naturelle de l'enfant, sans jamais brimer, rabaisser, humilier, pour une erreur de parcours.
Je ne parle jamais en terme de bêtises. L'enfant n'est pas un être bête.
Je n'ai jamais soutenu un contact hiérarchique avec l'enfant. Ni au-dessus, ni en-dessous. L'enfant est mon égal, et c'est dans ces conditions qu'il est le plus à même de définir ses besoins et de juger selon sa propre maturité.
Je me suis, lentement, dégagée des concepts archaïques qui font de l'enfant un être à former. Ayn Rand voyait en l'éducation, telle qu'on l'entend habituellement, une fabrique à monstre, en parallèle avec le commerce de monstre fait en Chine il y a quelques siècles de cela. Des nourrissons y étaient achetés ou prélevés dans des familles paysannes, et introduits dans des vases, dont on laissait uniquement sortir les pieds et la tête. Il s'ensuivait une déformation totale et permanente du corps. Le vase était brisé, et l'enfant, le monstre, vendu ensuite aux cours, où il était courant de posséder des troupeaux et des meutes d'animaux divers. Ces monstres devaient représenter le must du bétail de foire.
J'ai suivi les principes élémentaires du « parenting ». Le terme anglais marque d'absence la notion de soumission. On éduque son chien.
Si cela fait de moi une anarchiste, alors je suis anarchiste.
Je me doutais, évidemment, qu'aucune façade ne tiendrait assez longtemps pour moi et ma fille.
J'ai cherché à me bercer de cette illusion. Il me la fallait, pour vivre ces années sublimes.
Et puis, est venu le temps de me défendre. J'ai récupéré autant d'attestations et de certificats que je pouvais décemment récolter. J'en laissais certains de côté, de ceux qui n'auraient pas eu l'effet escompté durant l'audience. J'en faisais corriger d'autres par la main même qui avait fourni l'original, sans pour autant prendre le risque de passer pour une manipulatrice, une tare suffisant à ma peine. J'annotais des copies et des copies du rapport, marquant la moindre absurdité, relevant chaque contradiction, soulignant la plus petite marque de supériorité de l'assistante en charge du dossier. Je lissais le rendu. J'occultais des paragraphes entiers. Je déduisais de l'ensemble tout écart qui m'aurait fait passer pour une paranoïaque. Enfin, je relisais. Je m'imprégnais. La faille... il me fallait trouver la faille. Doctor es faille que je suis, je parvins à la dénicher trois jours avant l'audience. J'articulais ma défense.
Pas d'avocat.
Ma décision était prise dès le lancement de l'enquête.
La faille d'un système aussi complexe et puissant que celui qui s'abroge le droit de conduire la norme éducative et le devoir de définir les déviances et de les bannir, est dans sa puissance et sa complexité.
Assistants sociaux, éducateurs, experts, autant d'organismes étatiques qui œuvrent sur le même terrain, sans pourtant communiquer de façon transparente entre eux. Sous couvert d'une parfaite mécanique d'ensemble, il reste, entre les rouages, des zones de non-lieu.
Et c'est là que je décidais de placer ma pièce maîtresse.
J'avais en ma possession l'attestation émanent du directorat de l'établissement scolaire de l'enfant, qui stipulait que l'enseignante, interrogée, n'avait ni fait mention d'un absentéisme déraisonnable, ni jugé l'enfant en état d'épuisement chronique. Ce qui démentait, de peu, mais suffisamment, le rapport de l'assistante.
Je gardais tous les autres documents en réserve.
Lors de l'audience, je me retins à me déclarer contre les tenants et conclusions du rapport, puisque ce dernier n'avait été fait qu'en tenant compte des propos recueillis auprès de la famille paternelle de l'enfant, et que la seule professionnelle interrogée avait vu ses propos quelque peu interprétés à la rédaction finale. J'avançais vers la Juge, lui fournissant le document.
Je demandais dans un second temps une expertise psychiatrique familiale.
Garde alternée instaurée dans l'intervalle, j'avais quelques semaines pour fournir à l'expert les questions que je souhaitais lui soumettre. J'hésitais au départ. Et puis, sur la lancée, j'en fournis seize pages. Plus de deux-cents points d'interrogations. Articulés de façon à aider la personne, que j'espérais un tant soit peu raisonnable, à envisager le comportement du père comme étant nocif au développement de l'enfant, tout en rectifiant les termes du rapport, dans la limite des preuves que je pouvais fournir.
Je savais que je jouais avec le feu.
Ou nous sortions ma fille et moi de ce merdier, ou je risquais le pire. Un placement en famille d'accueil. Entre les deux, une succession de possibilités. Mise sous tutelle partielle de l'enfant et des rapports entretenus avec l'un ou l'autre des parents, retrait de garde, retrait d'autorité parentale, visites sous surveillance, éloignement temporaire, clause péril...
L'état possède de nombreuses possibilités d'actions afin de garantir à l'enfant un encadrement non-déviant.
Enfin, fût venu le temps de nous expertiser... non ! Marquée dès le départ du sceau de la déviance, il s'agissait, malgré le travail en amont que j'avais fourni, de m'expertiser, moi. Évidemment ! Sans pouvoir désigner moi-même l'expert en charge, je me retrouvais devant un expert officiant au sein même de la machine.
L'expert. L'experte.
Comment l'expliquer ?
Ayn Rand (superbe dans "Return of de Primitive"), et plus aléatoirement, Garcia, dans « Mères sous influence », seront à même d'éclairer les lecteurs curieux de savoir quel genre d'étang m'attend...
Le monstre...
J'ai reçu une fourchette pour me battre contre un zombie.
Et le réveil semble désirer demeurer muet...
Bref.
En l'Etat, Impuissance règne en maître sur des monstres, et je dois planter ma fourchette ridicule dans la faille.
Compter sur la chance ? J'en suis pas là. J'ai beau voir l'étang narguer mon parcours, je respire bien. Et la sensation d'impuissance me quitte déjà.
... à suivre...->