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11 novembre 2011 5 11 /11 /novembre /2011 11:11

Nora est la perle du Palais Goyave. Sordide expression de la consommation charnelle, une perle est une vulve, trop rarement l'oiseau blessé qui sait se faire oublier...

 

 

I PALAIS GOYAVE

 

Sur le fil d'un rasoir tendu jusqu'aux débâcles physiques, Nora avait appris à se tenir, quasi stoïque, en dodelinant son corps de soyeuses prétentions. Jarretelles et corsages esthétiques, une rue ouvragée de mille délicieuses vitrines, elle superbement digne de la plus lumineuse d'entre-toutes : Palais Goyave, une couche satinée flamboyante laissait son corps jouer de distractives positions, quand à son visage, une perle pâle offerte aux bouches tremblantes de la gente masculine qui venait se tordre en de singulières poses devant la vitrine astiquée de Nora.
Ses grands yeux fauves tenaient à distance les plus tendres prétendants à sa clientèle, composée des plus redoutables et fournis marchands et financiers en station dans le centre d'affaire de la ville, situé non loin du quartier des dames de plaisir.

 

Nora jouissait d'une vue panoramique sur la grande rue, où traînaient, perdues, faibles, malades, grasses et boudinées dans des vinyles usés, ses consœurs de la bonne quête. Une dose de méthadone parfois suffisait à les entraîner en de multiples passes, à l'arrière des containers stationnés dans les ruelles adjacentes, et sans plus de confort que de protection, les filles terminaient leur course, effondrées et laides, leur peau ouvertes de furoncles ignobles, dans les rigoles, ramassées au matin par les services d'hygiène mis en place une décennie plus tôt par les bons soins d'une course à la mairie.

 

La politique est une pute frileuse, pensait Nora, elle préfère autant que moi le confort aguichant d'une belle couche de satin, et soutirer de sa vue les reliques putrescentes de ses repas.

Un matin, ce fut Crysta, la douce et douloureuse Togolaise, qui partit ainsi, fauchée par une maladie respiratoire subite, juste sous les yeux, froidement rivés aux siens, de Nora.
Aurait-elle au moins eu la décence d'aller se crever sous un buisson, comme l'avait fait en son temps la petite asiatique, que chacun, ici, nommait cyniquement Hirondelle ? Un nid d'oisillons crevés, voilà ce qui restait de la gamine, après qu'elle eut la désobligeance de passer en douce sans capote pour engranger d'avantage dans le dos des comptables du salon. Les dépistages, sans appel, la mirent à l'ordre des choses, et Hiro, seule et sans ressource, tint à peine trois semaines avant qu'on ne la découvre, plus de trois jours après son dernier souffle, à l'extrémité ouest du Parc des Fanges, puisqu'ici, tout le monde semblait avoir oublié qu'il avait pour nom de baptême Parc des Gloriettes.
Un bosquet de deutzia, en pleine floraison, avait masqué l'odeur putride du cadavre, et lorsque le service d'hygiène sorti le corps, il était raide et gris, et dans les cheveux longs et noirs et lisses, des centaines de fleurs rosées s'étaient fondues.

Nora voyait ainsi les putes classées : celles qui prenaient des risques, et avaient la décence d'aller crever au loin des regards, comme Hiro. Elles étaient peu nombreuses. Elles étaient des oiseaux pris dans les pâles des éoliennes, qui tombaient, blessés, et trouvaient encore l'honneur de ne pas se laisser voir à l'agonie. Celles qui n'avaient aucune décence, jouant à la roulette cent fois par jour, crevées d'une irrésistible envie de crever, et qui s'affichaient, souriantes et fissurées, jusqu'à venir expier un dernier râle sous les arcades lustrées, étaient des vulves mortelles, de grandes et insatiables vulves malades pourvues de corps de femmes, ainsi que la Togolaise, encore presque prise d'un sexe tandis qu'elle crachait ses flaques de poumons saignants.
Enfin, il y avait les perles, Nora et quelques autres, doucereusement posées en écrin, dans l'attente d'un collier digne de les recevoir, et qui ne mouraient pas.

II HERR FRIDERT

Herr Fridert passait justement la grande porte ornée de lustres dorés du Palais Goyave. Une escouade de sœurs aux mains douces et manucurées l'accueillir, prenant le temps d'un tourbillon de parfums légèrement suaves, manteau, écharpe et coiffe, l'installant en douceur, mais tout aussi promptement, dans le fauteuil central du hall tapissé de tissus délicats et orné de verreries finement ouvragées.
Herr Fridert commandait régulièrement pour ses sorties quelque fille cultivée et Nora était dans ses grâces habituelles.

Aussitôt l'homme assis, la jambe droite croisée au-dessus de la gauche, ses grandes mains blanches en évidence, ouvertes sur les accoudoirs, laissant tout loisir d'observer, à l'annulaire droit, une lourde chevalière marquée de ses initiales, J .F., croisées en tortillons serpentaires, les bras de manche judicieusement taillés au-dessus d'un puissant bracelet de montre luxueuse, les filles, parées, se présentèrent en défilé silencieux et souriant, Nora en tête.
Jans Fridert ne lui offrit pas un regard.
Il reparti, quatre minutes plus tard, aux bras de Lyne, une jeune et talentueuse débutante, tandis que les femmes reprenaient leurs positions gracieuses sur les couches satinées de la grande rue.

Nora ressentit alors quelque chose d'un pincement délirant au fond de sa poitrine, réprimé sitôt, mais dont le souvenir la tint éveillée plus de deux heures après celle qui lui offrait en général le sommeil.
Tandis que la rue se bardait de soleil chaud, relevant les pavés de couleurs multiples, que les filles du dehors s'alourdissaient de sommeil dans les coins d'ombre, cherchant encore à aguicher les rares clients de ces heures lourdes, Nora veillait, demi assoupie seulement, s'empêchant au mieux de passer rapidement l'incongru picotement qui l'avait pris lorsque Jans était parti un bras sous la mince taille de Lyne, radieuse de se trouver à son goût.
Ignoble petite fille gâtée ! Pensa la déboutée, ignorant jusque-là le sentiment de jalousie.
Vilaine petite pute parâtre, que pensera Herr Fridert lorsque tu ouvriras tes jolies petites lèvres trop fines, laissant échapper, dans ton filet de voix trop doux, l'immense infortunée culture que tu as oublié d'emporter dans ton corps de fillette trop fluet pour tenir même face à la brise ?

Elle pensait, profondément, d'autres termes bien moins raffinés, au sujet de Lyne, mais n'osait même les penser clairement en toutes lettres. Nora était le raffinement né, et ainsi raffinée, ne pouvait simplement pas envisager de pareils mots en clair. Ils étaient, pour ainsi dire, laissés en codes obscures et grisés.
Lyne revint, radieuse, offerte d'un superbe manteau de renards blancs, dans le bras toujours aussi fermement tenu à sa taille de Jans, qui semblait ravi de la soirée longuement rallongée en sa compagnie.
Nora, fiévreuse dans son demi-sommeil, fût absolument réveillée par le rire cristallin de la jeune femme, dont la claire jeunesse l'irrita au plus haut point.

Cela ne se pouvait pas, pensa-t-elle. Non, il était inconcevable que cette catin frivole et inexpérimentée plaise à un client aussi fermement maniéré que l'était Jans Fridert.
Inconcevable, donc, que Jans la préfère à elle-même... il devait s'agir plutôt, de la part du Herr, d'une forme de punition machiavélique sur la personne de Nora.
Nora échafaudait alors, son esprit fatigué, les raisons de cette punition. Avait-elle eu un mot de trop ? Une pensée à taire permise lors d'un égarement ? Un comportement maladroit ? Une pose vulgaire à un quelconque moment de leurs ébats ? S'agissait-t-il d'un verre consommé de plus, qui aurait donné à croire à Jans qu'elle n'était jusque-là que parvenue à se retenir, et que l'habitude et la confiance aidant, la trouvait soudain en proie à un démon méticuleusement caché auparavant ?

III LYNE

Le soir arrivait, Nora, ses poses moins empruntes de l'énergie habituellement sensuelle qu'elle leur donnait, repris son poste dans la vitrine. En contrebas, encore visible à ses grands yeux fauves moins brillants que d'ordinaire, une bagarre éclata soudain un groupe de putains en deux clans déchirés. Au centre, une fille s'affaissa, prise de convulsions violentes, un groupe de clients pris tranquillement le large, les putes se dispersèrent en faisant de grands mouvements d'épaules et de bras, et une camionnette arriva en silence pour récupérer la chose désormais inerte, éviscérée sans doute au vue du flot de tripes qui se déversaient du corps soulevé sur un brancard crasse.

Un autre client pénétra alors le Palais Goyave. Rudolphe Kymher, accompagné de relations d'affaire
richement vêtus, lui aussi souvent confié aux charmes de Nora. Nouvel empressement parfumé, nouveau défilé délicat, Nora en tête, pas toute à son affaire certainement, passa à nouveau hors-choix, et Lyne, radieuse et couverte de ses queues de renards immaculées, repartie accompagnée de deux compagnes, aux bras des trois hommes fiers.

Picotement durable cette fois, Nora s'en retournant troublées, peinant à respirer profondément pour récupérer son flegme habituel.
La camionnette avait disparu, magie de la rue des délices, et ses pavés, nettoyés, rutilaient de vinyles à bourrelets, de filles maigres et herpétiques, de sourires sombres à vous faire pleurer le sexe de longues douleurs syphilitiques.
Rien ne s'était passé.

Lyne était un oiseau dans les pâles. Non. Lyne était une vulve ignoble. Nora étant une perle, la seule peut-être de tout le quartier, Lyne ne pouvait être qu'un immondice vulgaire, crachant ses tripes et ses dents et ses alvéoles pulmonaires et se vidant par tous les trous, centaines de trous sûrement provoqués par autant de crevasses dégoûtantes et de coups de lames d'acier, Lyne n'était pas une vulve, mais la vulve de toutes les vulves immondes qui se crevaient en plein jour, des milliers de queues encore plantées dans ses milliers de crevasses sombres.
Nora était la seule perle.
Un rêve délirant de fièvre prenant le corps épuisé de la perle, tandis qu'elle sombrait en un cauchemardesque fantasme, Lyne enfin découverte, jetée au trottoir, montrant son sexe aux lèvres coulantes et béantes, affichant son vagin sous la vitrine pure de Nora, sous les yeux fauves si purs de Nora la perle, et crevant soudain telle une boule de pu immense.

Lyne et ses compagnes revinrent aux alentours de six heure du matin, joyeuses et fatiguées. En montant à l'étage pour rejoindre leurs chambres, elles passèrent devant Nora, prostrée dans le fauteuil central du hall, les yeux brillants de température.
Tu n'as pas l'air dans ton assiette, chérie, exclama la voix douce de Lyne. Tu ferais mieux d'aller te coucher quelques heures, désires-tu que je t'apporte  un thé chaud ?
Nora, alors, se leva brusquement du fauteuil, griffes et gorge déployées, dans un cri absolument inhumain, pour se jeter sur la frêle jeune fille. Crève pétasse ! Hurla-t-elle. Les deux compagnes, saisies, mirent quelques secondes avant de réagir. L'une hurlant : Au secours, Nora à pété les plombs, à l'aide, d'une voix stridente d'écolière effrayée, l'autre, plus âgée, attrapant l'agressive femelle par les talons, la forçant ainsi à rompre son élan dans une chute grotesque qui la conduit sur le carrelage blanc et froid, son corps tendu tombant comme un bois sec, rompue aux sanglots névrotiques de la prise de conscience soudaine de sa folie.

IV PERLE

Une perle, qui cherche une perle pour son plus beau collier, une perle, je suis une perle, n'aller pas aux putes, messieurs, prenez des perles, enfilez-les sur vos queues pour tromper l'ennui, c'est brillant et précieux, les perles, venez aux perles et pas aux putes, messieurs, je suis une perle...
Nora, deux semaines après le dramatique incident qui la conduisit, séance tenante, en cellule capitonnée, trouvait le Palais Goyave fermé à ses charmes. Son regard, gavé de drogues fantastiquement calmantes, avait perdu toute clarté, ses gestes, désordonnés, lui donnait des allures de pantin débile dont il aurait manqué un fil ou deux par saccades convulsives.
Nora la perle était une vulve.
Lorsqu'elle convulsa, bave aux lèvres gercées, d'une dose trop richement colorée, c'était sous la vitrine de Lyne, la plus grande, la centrale du Palais Goyave.
Lyne pensait qu'il n'y avait que deux sortes de putes. Celles qui n'étaient pas encore sur la rue centrale. Et celles qui y étaient déjà.Et dans son cerveau capable de semblable raisonnement binaire, elle observait, avec mélancolie, les fluides de Nora la perle s'écoulant lentement sur les pavés humides de l'automne qui tissait de longues brumes le long des bâtisses aux vitrines chaudement colorées.
La camionnette, silencieuse, venait par là.
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28 mars 2010 7 28 /03 /mars /2010 23:03

« -Alors, on ne peut tuer que ce qui existe ? 

La jeune femme était sortie de sa contemplation, et s'exprimait, méditative, d'une voix mature qui collait mal à son apparente innocence.

-Et il ne peut exister que ce qui nous est aimé, et il ne peut être aimé que ce qui peut nous être haït, et il n'y a que ce que nous haïssons que nous pouvons tuer...

L'homme, calme, mesura une pause sur sa respiration, et reprit, au même rythme :

-Vois-tu, tu ne peux pas connaître ce qui n'existe pas, et tu ne peux aimer ce que tu ne connais pas.

Elle regardait par la fenêtre, son reflet posé dans la cime d'un tilleul grisâtre, ses yeux retombant sur l'arrière de la pièce, où se tenait, dans l'ombre, la silhouette tranchante de son interlocuteur.

Il pleuvait doucement sur l'avenue, l'heure matinale laissait fendre ses atours nocturnes par les lumières acides de quelques phares, commes des passages à vide de l'univers, découpe lumineuse, avant que l'obscurité ne se referme à l'arrière des véhicules.

« Comme des îlots flottés, naviguant à l'aveugle, leurs yeux perdus au loin d'horizons indécelables... »

-Des îlots d'autres, perdus dans nos contrées.

Elle n'avait fait que le penser, mais les mots de l'homme étaient venus se joindre aux siens.



-Alors, je peux le tuer...

-Le tuer ? Qui veux-tu tuer ? Qui connais-tu si bien, pour lui donner le droit d'exister à tes yeux, à nos yeux ?

-Celui qui m'a donné la vie, celui qui m'a ordonné la mort, celui que je connais, comme si j'étais sa fille, mon père.

Le silence était retombé, lisse, coulant, dans l'air frais du matin.

La grisaille relevait les arrêtes des toits, le paysage urbain prenait son aise, couchant, entre les voitures stationnées, une frénétique journée.

-Pourquoi veux-tu le tuer ?

-Parce qu'il m'a faite mortelle, me coupant de moi-même... je suis certaine aujourd'hui mon devoir de m'en défaire, et j'en ai le pouvoir... puisqu'il existe enfin, détaché de moi-même.

Une étoile appaisée brillait dans son regard. Elle était seule, face à la ville grise, prise dans le regard de son reflet, qui posait sur elle l'assurance d'y parvenir.

-Je ne serai pas son juge, c'est la morale qui se chargera de lui rendre ce qu'il m'a si généreusement offert.

-Qu'est-ce ?

L'homme retenait jalousement ses mots. Il ne supportait pas que d'autres puissent exister aux sens de la jeune femme.

-La vie...

Un éclair lucide venait de fendre l'atmosphère alourdie de la chambre. Elle se retourna, mutine, pour murmurer, dans un sourire candide :

-Je ne saurai me défaire de lui, puisqu'il existe, qu'en lui rendant la vie qu'il m'a ordonné. Ainsi, je ne serai plus sa fille. Je serai ma propre fille. Il faut qu'il soit jugé, et le jugement rendu, cet homme condamné à contempler ma vie, à me contempler comme il m'a faite, victime insipide, cet homme ne pourra plus être mon père, mais le père de la victime qui se tiendra face à lui...

-Tu porteras son masque ?

La question avait jailli, hors-mesure, mais sans colère, et l'inquiètude s'était emparée de l'homme.

-Je porterai le masque qu'il faudra que je porte lors du jugement, pour obtenir sa condamnation. Ensuite, j'enlèverai mon masque, et n'aurai plus à me soucier des ordres de ma naissance. J'en suis capable... et lui, coupable.

Le matin se jetait, franchement, dans le cours du ruisseau à l'arrière de l'immeuble. Le printemps prenait au ciel les carmins doucereux, et les posait, à mesure que le soleil montait, sur les branches des pruniers.

-N'est-ce pas là de la tricherie ?

-Tricherie n'est pas mensonge. Puisque j'en connais les règles, seule, c'est seule que je dirige le jeu.

Elle était resplendissante, traçant sa silhouette dans le contre-jour matinal de la baie vitrée.

Elle s'étira, langoureuse, et sur la pointe d'un pied, fît décrire à son corps un demi-cercle parfait. Plantant son regard dans le regard de l'homme sombre, elle ajouta :

-Ce n'est pas vengeance, mais liberté, que je désire plus que tout. J'ai trop longtemps retenu mon attente.

-Le temps n'a aucune importance...

-Le temps me presse, car il m'appartient enfin.

-Et alors, justement, puisqu'il t'appartient, tu le possèdes, que désires-tu presser ?

-Ce n'est pas se presser que de faire son temps. J'ai fait mon temps. Il me reste à le mettre à profit.

-En es-tu capable, aussi certainement que tu me parles ?

Elle s'était interrompue, perdue dans le vague de la pièce, et se retourna à son reflet, pour soutenir son propre visage.

Il traça alors les traits brisés de la victime de son père, le masque engourdi de la douleur, sans pour autant défaire son esprit de la vivacité qu'elle avait acquise depuis.

-J'en suis capable.

Le visage avait repris son apparence neutre, les yeux profondément marqués de solitude, dans la brillance d'un éclat de soleil, qui était venu frapper à la vitre.

Un sourire doux prenait sa figure, flottant sur l'appaisement délicat qu'elle dessinait sur son être.

-Cet hiver, le jugement aura lieu, et au prochain printemps, je pourrai enfin naître. Qu'il est bon de s'accorder aux saisons...

-Bucolique... Quand oublieras-tu de t'accorder l'importance des saisons ?

-Je ne sais pas, je trouve cela charmant, et puis, la symbolique humaine traduit si naïvement son âme. C'est touchant.

-Touchant... Te voilà plus touchante que tes allusions naïves.

Le rire de la jeune femme passa, léger, caresser le corps de l'homme.

-J'ai plaisir à te toucher. Mon temps serait pluvieux, s'il n'était en mesure de te faire fondre.


Le printemps rayonnait sur la ville, effervescence prise au mouvement d'une nuée d'étourneaux, tandis que les deux corps, touchés l'un par l'autre, se faisaient seuls au monde.

Cet hiver, elle sera la victime d'une guerre qu'elle mènera certaine d'y perdre la face, condamnée par elle-même à mort, et son bourreau jugé, à emporter son masque.

Elle ne pouvait que réussir.

L'année profilait ses couleurs, dans l'odeur humique du cours de ses pensées.

Le compte-à-rebours était lancé. Et le printemps, sur le seul corps, s'épanouissait."

Extrait de "Monologue des Mémoires"

 

Lola

28.03.10

 

Retour sur Les Mots de Lola

 

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22 août 2009 6 22 /08 /août /2009 22:50

 

Un relent poussé aux fleurs maladives des charniers oubliés flottait sous les jambes tordues du grand pont. L'effluve révoltante de la chair coulée par la chaleur.

Et le son flottant d'une ville aveugle passait sur le pont, laissant jusque dans ses fondations le tremblement colérique d'une âme révoltée.

Une grande âme, puisée dans la force monstrueuse des tonnes de matériaux assemblés pour rejoindre deux rives, qui, se fauchant du regard en chiens de faïence, aggripaient à leurs berges leur festin quotidien de corps perdus.


Les berges craquelées soupirent, tant le poids qu'elles supportent est ignoble.

Imaginez l'horrible et majestueux tableau que je vous dépeins, avec tant de peine que mes mains glissent fébrilement sur le clavier en cherchant le mot qui saura retranscrire parfaitement ce qu'il en est, tel que je l'ai vu.

Le ciel sombre se déchire sur la procession noire, remontant les berges jusqu'au manteau du pont, ses formes, carressées par les brumes, se dévoilent alors peu à peu aux regards effrayés.

D'une berge à l'autre, les corps passent en farandole sinistre, lente, silencieuse, les mains maigres et brûlées cherchant l'équilibre des corps, qui vascillent à chaque respiration rauque de la structure.

Et tous se présentent à la bouche béante du monstre afin d'atteindre une hypothétique autre rive.

Le son éteint des pas sur le manteau du pont, le râle de la procession, le souffle de la structure, ces sons seuls suffiraient à glacer le sang du plus preux de tous les hommes.

Mais ici, il n'y a pas d'homme. Rien que des figures humaines figées par le tourment, des yeux secs et percés, des bouches édentées arborant des lèvres gercées.

Et le pont, mes amis... le pont...

Tandis que son manteau aspire à se parer de peau, en recueillant celle de ces damnés passants, et qu'il opère une surveillance attentionnée en usant d'yeux piqués sur quelques nerfs et ligaments, le moindre détail est formé de chair et d'os, de cables de boyaux, d'armatures de cartilage.

Cette chose vit, bouffe le monde qu'elle supporte, tandis qu'elle lie deux rives identiques, et que la foule, pressée par la peur du fleuve qu'elle enjambe, continue, sans cesse, sa procession macabre.

...


Retour au Nouvelles et proses

 

 

 

 

 

 

 

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22 août 2009 6 22 /08 /août /2009 22:44

Un souvenir... la mer roulait ses galets, ressassait en ressacs impromptus les délires foudroyants de la marée douloureuse. Et l'orage approchait.

Tandis que le temps couvre son corps, figé, statue de chair, la pluie ruisselle en perles froides le long de ses joues, et la houle souffle à son regard l'obscurité chancelante des vagues, brisées aux reins de la roche, sur laquelle elle s'accroche, estampée au ciel noir.

Une série d'images, kaléidoscope saturé de flash-back, surgit du ventre de la terre qui se trempe aux langues humides de la jetée, remonte à fleur de peau en étoile salée. Une fleur vaginale pulse douloureusement le long de ses cuisses.

Ses yeux glissent sur sa peau mouillée de fièvre et de ciel, toujours le sel qui s'éclate en cristaux mourants, et dans l'antre de ses cuisses un placenta éclot gorgé de lames vives...

Et ses yeux plongent au sein clair de l'écume glacée, et sa bouche y décelle la poitrine maternelle, comme l'animal enfouit qu'elle a tant gardé en elle, elle retient, une seconde, une heure, l'haleine saure des embruns sur ses lèvres, décide enfin de se laiser prendre, et la mamelle viole sa gorge...

Fond sonore fracassé sur les notes cuisantes d'une gamme de bulles d'air...

Un souvenir que la foudre imprimait à la crête d'une falaise.

Parfois le vent foule le corp décharné d'une silhouette fantasque, pressant un hurlement teinté que n'entendent ni les morts, ni les vivants, une série d'image, kaléidoscope saturé de flash-back...

Alors alentours les rideaux tirés jettent à la falaise les fantômes de deux prématurés.

 

Retour sur les Nouvelles et proses











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21 mai 2009 4 21 /05 /mai /2009 20:57

La nuit...

 

Une nuit m'a pendu sur la toile, encore, encore l'écran qui me susurre-rejet-et dans le creux d'une oreille, tendue sur Dream On, Aerosmith déchaine mes souvenirs.

Il y avait sur l'étoile un vieux loup en partance. Et moi j'avais le choix. Je n'avais que le choix des armes, piqure éternelle, fallait-il le laisser s'en tirer à si bon compte, ou savate usée sur les babines ouvertes, prise d'air...

Je touchais les reflets d'un miroir brisé. La nuit suintait de part et d'autre de mon regard, qui se laissait aller aux souvenirs. Lui, le flanc couché d'amour, et moi, mouillée des rosées abdominales.

Vision cathodique plongeante, une gamine qui lève sa jupe tandis que le juke-box crépite sur Dream On. Aerosmith entraine les chaines barrées sur le torse, et les poings s'éclatent en papillons d'argent.

 

Les bécanes dehors somnolaient, et les cuirs portaient fièrement les cicatrices des dernières descentes.

Une nuit...

La nuit s'invite à ma couche, et la Lune est portée pâle. Une autre nuit frémit sur mon corps, je me souviens, Dream On, Aerosmith, mon ventre se plie, je me mets à fondre en rivières sombres, une nuit, Dream On, une nuit, Dream On...

Et l'orage échappait aux nuages, tandis que le ciel roulait sous les vents lourds de Mai. Il y avait dans ce ciel, en plus de Dream On, l'attente lourde et chaude de la tempête. Alors que la nuit déposait son absence sur la ville, que les stores baissés couvraient les éclats de la journée en rideaux étanches, les méandres tortueux de ma cervelle s'affairaient à repeindre en bleu les flash-lumière qui s'étalaient à chaque reprise métallique.


« Every time when I look in the mirror
All these lines and my face getting clearer
The past is gone, In the night, like dusk to dawn
Isn't that the way,

Everybody's got the dues in life to pay»


Et putain que l'orage manquait à mon ciel.

J'attendais la tempête, arrimant mon regard aux cimes célestes. Le bleu me prenait aux tripes, le bleu m'arrachait quelques mots, mais l'encre, elle, coulait rouge, sitôt absorbée par le flux mécanique de mes pensées.

Il y avait cette putain de nuit, collée à mes tempes, une poupée lâche roulée en boule, et la horde dessus, crachant et vociférant, les poings frappant encore et encore, et le bruit sec des os qui rencontrent l'acier, et l'air qui s'éclate en rosée magenta, les éclairs...

Les éclairs qui jetaient les ombres divines sur la scène, le traître mis-à-mort par la horde vengeresse.

Il y avait cette putain de nuit. Il y avait Dream On, Aerosmith, la gamine et sa jupe et le juke-box se répétait...

«I know nobody knows, where it comes and where it goes
I know everybody sin, You got the blues to know, Oh»


Il y avait le sang qui collait aux godasses, les chairs prisent dans l'asphalte, et la nuance mauve qu'avait pris le ciel. A cet instant, un des mecs à relevé la tête, les cheveux collés au front, dégoûtant de sueur et de flux corporels divers, le mec à relevé la tête en cherchant mon regard.

Dream On, Aerosmith...


«Half my life, is in those written pages,
Live and love from fools and, from sages
You know it's true, OH,

All the things you do come back to you

Sing with me, sing for the years
Sing for the laughter, sing for the tears
Sing with me, just for today
Maybe tomorrow, the good lord will take you away»


Le monde entier se met à frémir, et mon balcon n'échappe pas à la règle. L'électricité parcourt mon corps, parcourt la terre, et j'attends toujours la tempête.

Un blouson puant vient couvrir mes épaules, une main retient ma joue, et deux yeux perçant me clouent aux bras puissant du vieux loup. La meute, derrière, digère, et déjà les bécanes se mettent à vibrer de concert.

Les chaînes reprennent leur place, le monde se remet à tourner, et le juke-box crache encore.

La cathodique balance de la neige, j'attends l'orage, les nuages roulent à la frontière, et la nuit me soulève.

Aerosmith s'accroche à son rêve, et le monstre du loup nous emmène.


«Yeah, sing with me, sing for the year
sing for the laughter, sing for the tear
sing with me, just for today
Maybe tomorrow, the good Lord will take you away »

Dream On, Dream On, Dream On
Dream until your dreams come true
Dream On, Dream On, Dream On
Dream until your dreams come true
Dream On, Dream On, Dream On
Dream On, Dream On, Dream On
Dream On

Putain de ciel, putain de nuit, putain d'orage...

Putain de vie...

La nuit roulait le bitume aux quatres coins du pays. Les bandes déroulaient leur violence, écumant les bars et les villes. Les cuirs se montraient couverts de cicatrices, les lames, les ceinturons et les chaînes se couvraient d'or, se délectaient de sang.

Il y avait toujours quelque chose, ou quelqu'un, à se mettre sous la dent.

La nuit, Dream On, et le vent, qui se faisait insistant, les branches au-dessus de l'avenue, couchaient leurs ombres folles sur les bécanes rangées...

Une autre ville, un autre bar, un autre juke-box, une autre gamine, toujours la même, toujours la même jupe, toujours la même odeur, et l'air de la nuit qui s'étoilait de perles sanguines, le macadam qui résistait aux chairs un moment, avant d'accepter de les digérer...

Un ange avait couru dans les veines du Loup, et parfois, dans son regard, on pouvait deviner les étincelles légères, impuissantes à retenir la soif enragée qui avait enchaîné le corps et l'esprit aux goudrons charnels...

Il y eu une dernière nuit.

La nuit.

Dream On.

Regarde-toi, et souviens-toi... tout un chacun finit par payer son dû...

Il avait pris l'apparence d'une mioche, impertinemment claire. Il avait décoché dans les chairs du loup l'éclat viscère de la tendresse. La gamine arrimait ses bras délicats à son cou, et berçait la tempête d'un regard gelé...

Les mots et les coups s'égaraient au fronton de l'assurance qui se dégageait de cet être chétif. Elle n'était rien, rien qu'une gamine, rien qu'une larme d'innocence, et le Loup s'accrochait à son étoile, dans une valse sans contre-temps. Son autel, sa foi, sa tempête... Dream On trébuchait aux sursauts métalliques d'Aerosmith, et la nuit qui s'annonçait charnière et impitoyable, balançait ses premiers grondements dans l'air électrique de la ville.


« Sing with me, sing for the year
sing for the laughter, sing for the tear, sing with me,just for today
Maybe tomorrow, the good Lord will take you away
Sing with me, sing for the year
sing for the laughter, sing for the tear
Sing with me, just for today
Maybe tomorrow, the good Lord will take you away... »


Il y avait sur l'étoile un vieux loup en partance. Et moi j'avais le choix. Je n'avais que le choix des armes, piqure éternelle, fallait-il le laisser s'en tirer à si bon compte, ou savate usée sur les babines ouvertes, prise d'air...

Je touchais les reflets d'un miroir brisé. La nuit suintait de part et d'autre de mon regard, qui se laissait aller aux souvenirs. Lui, le flanc couché d'amour, et moi, mouillée des rosées abdominales.

Il y avait les nuages qui roulaient sous l'averse, un orage dément qui mouillait mes souvenirs...

Il y avait Dream On, un bar, un juke-box, Aerosmith, une gamine légère qui volait sous ses jupes les tendresses mortelles, un vieux loup qui partait en errance...

La nuit...

Dream On.

 

L'orage, enfin, prend la ville d'assaut.

Et la nuit reprend son cours...



21.05.2009

 

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10 mai 2009 7 10 /05 /mai /2009 22:32

Je baladais mon vieux jeans troué entre les longues ombres des blocs de béton. Le soleil me réchauffait les orteils, et les corneilles décolorées poussaient de petites plaintes douloureuses à mon approche. Tout semblait normal, ce jour de printemps hâtif, tout semblait à sa place, et le vent longeait les trottoirs, comme un vieux chien puant, ramenant  l'asphyxie latente du centre ville.
Je m'arrêtais de temps en temps, inspectant d'un œil avide les rigoles humides derrière les voitures. Les boulettes ici poussaient apparemment mieux qu'ailleurs, et je ramassais ce que les pigeons oubliaient ou jetaient les nuits de grande chasse.
Je vivais large et pénitente, me contentant de rien, et pourtant, je me procurais ce qu'il me fallait et plus encore. Je vendais mes bricoles, et cela suffisait à me nourrir, tant le ventre que la tête, et je ne quittais jamais mon appareil photo, ou peut-être est-ce lui qui ne me lâchait pas. J'étais bien et je n'existais pas, seul mon œil parcourais le monde, et mes jambes trop maigres n'étaient qu'un trépied mobile, j'étais une pellicule sur pattes, j'étais ce que personne d'autre ne cherchais à trouver, et parce que mes photos ne me voyaient pas j'étais invisible.
Et là, l'œil tomba sur quelque chose d'inhabituel, une petite main, fragile, accrochée à la manche d'une veste. Je contournai le véhicule, et je m'encoublai alors sur une pair de jambe, et, en me penchant, je remarquai le visage, petit ovale pale et lisse, les yeux clos, le torse vide, et je lâchai mon appareil, qui se mis à balancer au bout de son cordon, comme un pendu fraîchement exécuté.
Dans la mort, parfois, vient le repos. Et c'était le cas pour cette gamine, qui avait peut-être mon âge, peut-être moins, et qui semblait dormir, et les anges la survolaient silencieusement. Je la connaissais. Elle était venue me voir, quelques jours auparavant, me suppliant à genou, en larme, de lui vendre un peu de rêve. J'avais refusé. Trop jeune, trop douce, je la raisonnai. Elle était partie. Mais ailleurs, un salaud avait eu moins de scrupule. Il lui avait vendu du rêve, et bien plus que ce qu'elle n'aurait jamais osé espérer. Elle tenait contre elle son sac-à-main, un sac d'enfant, en peluche mauve, et dans la main droite, un billet, un numéro de téléphone semblait-il. Sa mini-jupe retroussée sur ses bas-résilles, ses bottes noires, ses bracelets aguicheurs, et son petit corsage plat... En me redressant, je respirai à plein poumons. Quelle merde.
J'avais sur moi un peu d'herbe. Je n'avais jamais rien de plus fort, ou bien le temps de le passer, le temps de m'en défaire. Je ne vendais rien d'autre, parfois, je faisais un peu d'échange. Je jetai l'herbe derrière un buisson, et pris la direction du commissariat.
Sur le chemin, je croisai un mec, maigre, le visage serré, la démarche latérale, il réajustait sa chemise en sortant d'une allée moisie. Derrière le reflet de la porte qui se fermait sur lui, je vis une fille, le même âge que la gamine de la rigole, fourrant dans son sac sa dose juste gagnée.
Elle m'a regardé. L'espace d'un instant, je n'étais plus invisible. Mon corps réveillait ses viscères, je voulais la tirer, la jeter sur la gamine, lui montrer...un instant. A quoi bon ?

Le soleil retombait déjà loin du monde, et le vent respirait plus fort, comme pour chasser l'odeur fétide des rues sombres. Je marchais encore, mais mon œil s'était fermé. Aveugle, je déambulais, traînant mon vieux jeans pourri à ma suite, et mes fantômes, et mon corps qui disparaissait lentement entre les blocs de béton. Les étourneaux revenaient en masses dansantes, et tout semblait à sa place.

 

Un Jour 10.03.2007

 

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10 mai 2009 7 10 /05 /mai /2009 21:22

Je balance d'un pied sur l'autre, seule dans la rue, l'air froid me prend à la gorge. Je veux rentrer. Je veux arrêter. Mais je peux pas. Ça me fait mal. J'ai des nausées, envie de m'arracher les cheveux.

Les grandes façades dégueu' se plient sur moi, l'horizon se bouche, il fout quoi ?!! Merde, je regarde l'horloge de la rue centrale, les aiguilles restent fixes sur le cadran, c'est un sale plan, le temps s'est arrêté, et moi, dans ma douleur, je me mets à gerber sur le trottoir.
Marre, bordel, j'ai passé ma journée à tirer des queues, et je lui avais dit, je fais pas ça pour sa sale gueule. Je me promène pas par -10 pour digérer... j'ai rien bouffé. J'essaye de me souvenir depuis combien de temps j'ai pas avalé quelque chose.
Mais tout ce qui me revient, c'est le dernier fix, et là je suis mal, deux mecs passent en matant ma gueule, c'est pas moi, c'est un masque, ce que je me disais au début, quand je me regardais dans le miroir, mes yeux perdus dans les cernes, un sourire coupable sur des lèvres à peine visibles... Un masque, je les regarde passer, ils me font chier, tends un majeur haineux, et me concentre pour ne pas gerber encore.
Putain de trottoir puant, l'autre qui n'arrive pas, et ce froid, je sens à peine mes pieds, je me décide à bouger, le trottoir glisse sous mes pas, c'est un ruban, je me traîne jusqu'à la gare, je trouverai bien un enfoiré pour me dépanner, de la merde pour de la merde, cette fois je peux plus attendre, un avertissement s'allume faiblement dans mon cerveau, je l'ignore, il avait qu'à se pointer.

La chambre sent le foutre, je me laisse tomber sur le lit, manque de jeter la lampe à terre en cherchant l'interrupteur, les murs encombrés d'affiches jettent leurs ombres au plafond, je tire le tabouret à moi.
Mon monde se rétrécit, j'erre entre le jus de citron, la cuillère et la boulette.

J'attends.
Encore...

L'Univers bascule, des milliers d'étoiles s'allument dans un néant obscure, je m'effondre, le lit m'avale, je tombe en tournoyant, et la neige et le froid, et la nuit se disperse autour de moi, et j'étouffe comme je n'ai jamais eu autant d'air, des couleurs en fusion plongent en s'élevant, m'aspirent dans un tourbillon... je n'ai peur de rien, je suis invincible, je suis la relativité absolue...

Il m'en faut encore.
Le lit vogue seul sous mon corps.
Il m'en faut encore...

A mes pieds, les photos éparses de celle qui m'a trahie. Les odeurs ne m'atteignent pas. Personne ne frappe à la porte.

Et les heures passent. Je me regarde, assoupie entre mes draps, tellement sage, tellement douce et meurtrie, je me trouve belle.

Et les jours passent.
Et moi, j'ai perdu mon reflet, j'ai perdu ma chaleur, et le goût de l'eau me manque.

 

10.10.2008

 

 

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2 mai 2009 6 02 /05 /mai /2009 11:47

-Ok, c'est bon, j'ai dit j'arrive...laisse-moi 15mn...

Par la fenêtre,  je vois le soleil se coucher sur  l'ombre de cette ville qui m'insupporte. Je ne l'ai pas choisie, je ne l'aime pas. En plein jour, elle me pompe ma sève, transpire la mauvaise foi de ces habitants. Partir, un jour. Oui. Je l'ai rêvé tant d'années, mais en viellissant, cette ville ou une autre, qu'importe. Et celle-ci à au moins l'avantage de m'appartenir, une fois la nuit tombée.

M'appartenir, et les fenêtres qui s'allument comme la lumière fuit les rues, cachent autant de corps, autant de vie insipides qui me rendent au centuple l'énergie que je leur laisse aux heures claires.

-Qu'est-ce qu'as de beau pour moi, chéri ?... Ok, je suis chez toi dans 5mn.

Je raccroche. Je prends le temps de me préparer. Momo n'a pas la même conception du temps que le monde dans lequel il traîne son corps de crises en crises.

Mes manteaux m'attendent sagement à l'entrée. Mes bottes se reposent encore 2mn, affalées mollement sous le meuble de l'entrée: une planche posée sur une table à opium qui portait trop de souvenirs pour que je la garde en son état.
Un coup de crayon pour le regard, 2 baguettes dans les cheveux.
L'enveloppe dans le secrétaire, les clés dans le panier, me voilà prête. Et mon indispensable bandouillère contenant carte d'identité, carte téléphonique, opinel et biscuits. Toujours des biscuits fourrés au chocolat.
La rue est hantées d'ombres têtes basses. Le sentier sinueux me conduit en-dessous d'une entrée de parking mal éclairée par un vieux néon fléchissant. Je sais, le cliché est insipide. Mais la vérité prend parfois des allures de mauvais feuilleton policier. Qu'est-ce que j'y peux.

Le mec se pointe en retard, complétement défoncé. J'te parle pas des bénèf qui passent en consommation directe. Il a l'air de tenir debout, masi c'est une question d'élasticité temporelle, qu'il m'avait dit une fois.

En le regardant bien, je me dis qu'il a peut-être bien réinventé la loi de la gravité...
Echange de bons procédés, il repart avec son enveloppe.
Moi, j'affronte la bise et la montée d'adrénaline seule. Je me lance.

Dans le tram, les gens font la gueule. Le teint pâle, le regard vide-je me demande à quoi ils peuvent bien penser.
Est-ce qu'ils se rendent compte que leur vie peut partir en couille d'un instant à l'autre ? Ont-ils l'espoir de voir leur avenir ensoileillé ? Sont-ils prêts à se bouger le cul pour avancer ?
Je sais pas. Je me sens si vielle, les choses me passent un peu au-dessus, après tout, que m'importe demain ? Des carnivores qui se bouffent les uns les autres. Des zombies la bave aux lèvres.
Je descend, m'allume une cigarette. Le quartier a bien changé. Les flics passent au ralenti dans la rue centrale, et il ne reste à la jeunesse que quelques caves et tavernes protégées. Une porte rouge en acier est entre-ouverte. Sous la terre, l'air est doux. Une musique rythmée parvient aux premières marches. Je m'engouffre, et dévale les escaliers. A partir de maintenant, je dois rester concentrée.
Je remonte les esclaiers. L'affaire m'a pris plus de temps que prévu. Je rejoint d'un pas rapide mais mésuré, Chito, un Zürichois crâmé, ex-gog-dancer, futur patron de la ville.
-Alors, ça a marché ?
-Oui ça a... je répond par automatisme à son interrogatoire.
-Ca va j'te dis, c'est juste Momo qu'était en retard, comme d'hab.
5 ans que je boss avec Chito. Malin, carnivore. Il fait le chef, par prétention.  Moi, je m'en fous. Il peut bien tenir son rôle. Moi j'ai le mien, et je le joue sans bavure.
Je lui tends mon sac.

Arrivés chez lui, je vais me poser sur un pouf dans le salon.
-Un jus de pomme ?
Le vent siffle dans les aérations. Il me ramène mon verre et s'assied dans un fauteuil.
-Ils ont pas résisté ?
-Non.
-Un jour, je pourrai savoir comment tu fais ?
-Fais quoi ?
-Pour les forcer ?
-Je les force pas, je leur laisse le choix.
Chito a cet accent superbe du bon Suisse Allemand qui ne pourra jamais assimiler les valeurs phoniques de la langue française.
Le deal de notre collaboration, il reste l'image impèc de notre entreprise. Moi, je m'occupe de l'administratif. point barre. Mais l'autre s'emmerde, et sa curiosité va grandissante.
-Chéri, je peux rien te dire, et je ne te montrerai rien.
Il regarde son verre, frustré et pensif. La liqueur renvoye des reflets dorés sur la peau claire de ses mains. Un silence rassurant envahit la pièce.
5 ans avec Chito, avant je bossais seule, puis les flics m'étaient tombés dessus. Sans preuve, ils avaient bien été obligés de me lâcher, mais je ne voulais leur laisser aucune prise. Chito me couvrais depuis.
Pas d'histoire, un peu de coke-paillette, il taffait maintenant dans l'entreprise familiale, un bar huppé de la capitale. Il gérait la clientèle, et profitait de mes descentes pour se fournir en matos.
-Hey Chito, t'inquiètes personne peut remonter à toi.
-Oui, je sais...
Il souffle dans son verre, la surface du liquide s'irise, et les reflets ondules douceureusement.
-Tu me fous la trouille, c'est tout. Tu dégages un truc pas normal, je te connais depuis le temps, et certains soirs t'es vraiment loin de tout.
Premier inconvéniant du travail d'équipe :rendre des comptes.
Il vient toujours un moment où le collaborateur exige des explications.
Curiosité...
-Demain t'as prévu quelque chose ?
2ème souci : organistion-estimation.
Le travail d'équipe me pèse depuis un moment.
-J'ai la trouille, mais je me sens bien.
et de 3... les attaches.

J'ai toujours rêvé de changer de ville. Le lendemain, je prépare mon sac. Pulls, jeans, baskets, manteaux, clés, bandouillère...et l'enveloppe dans le secrétaire.
Sur le tableau des départs, un nom s'affiche en lettres scintillantes.
-Un aller-simple, s'il-vous-plaît.
Le préposé me tend un carré de carton.

Je ne choisi pas ma ville. En quelque sorte, je suis un peu comme Momo. Je réinvente certaines lois pour m'en faire des sûrs-mesures. Je dirais ainsi, que c'est la ville qui me choisit. Une fois propre et réglée, je la quitte avec son accord.
Ca peut me prendre un certains nombre d'années.
Mais j'ai tout mon temps. Et le monde encore à couvrir. Je me sens si jeune.




ÂME CITADINE 12.01.2008

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